Magritte

 

Biographie





[Contemporary context, exerpted from L’ART ABSTRAIT, LE SURRÉALISME by Jacques ROUVEYROL]

Les deux tendances du surréalisme.

On peut, semble-t-il, distinguer deux tendances dans le surréalisme. L’une d’inspiration psychanalytique tout fait sens. L’autre d’inspiration venue de l’absurdetout est non sens.

a. L’inspiration psychanalytique.
Il s’agit alors :
a1. De mettre en scène le fantasme (que Freud définit exactement comme un scénario élaboré inconsciemment pour la satisfaction du désir). De ce type, par exemple les oeuvres de Clovis Trouille qui montrent le plus souvent des religieuses occupées à de toutes autres choses que la prière. (Ci-dessous, une oeuvre à peine moins blasphématoire intitulée Mon Tombeau).


C’est aussi (1926) La Vierge corrigeant l’enfant Jésus de Max Ernst où l’on voit Marie appliquer sur le derrière de l’enfant Jésus une fessée sans doute saintement méritée. Mais c’est aussi, du côté du fantasme plus sadique, Les Roses sanglantes de Dali 1930 montrant une femme “éventrée”, semble-t-il, du ventre de laquelle en guise d’intestin jaillissent des roses tandis qu’une ombre masculine occupe une portion de la partie droite de la toile : voyeur ? bourreau ?

a2. Des hallucinations comme celles, répétitives, de Saint Antoine au désert, mille fois rééditées dans la peinture classique et reprises par Dali (1946).


a3. Des pulsions comme c’est en particulier le cas chez Hans Bellmer. Pulsion scopique dans les nombreuses oeuvres qui donnent à voir, dans des entrelacs complexes et des superpositions improbables, des organes, spécialement génitaux et féminins. Pulsion sadique, en particulier dans ses Poupées (ci-dessous : La Poupée qui dit “non”).Mais aussi chez Matta, comme par exemple dans X-Space and the Ego de 1945. Les quatre illustrations pornographiques, photos de Man Ray qui illustrent les poèmes érotiques de Benjamin Péret et Louis Aragon dans 1929 (Editions Allia) sont à ranger, sans doute, dans cette rubrique.

a4. Le thème du rêve est fréquemment mis en oeuvre soit directement soit à travers ses “mécanismes”.

–> Directement, par exemple, Le Rêve causé par une abeille autour d’une pomme grenade une seconde avant l’éveil (1944) de Dali.

Ou La Clé des Songes de Magritte, ou Dream of future desert de Masson.


–> Ou à travers ses “mécanismes”. Freud distingue en effet un certain nombre de “mécanismes” par lesquels le contenu latent du rêve (la part insconsciente, refoulée) trouve à se déguiser pour devenir manifeste (l’ensemble des images qui constituent le rêve). Parmi ces “mécanismes”, deux sont particulièrement importants : la condensation et le déplacement. Dans le premier, plusieursdésirs refoulés trouvent pour s’exprimer une seule image (qui a quelque chose en commun avec tous ces désirs). Le Marché d’esclaves avec le Buste de Voltaire disparaissant de Dali (1940) est de cet ordre-là. Le “visage” de Voltaire est fait d’un trou (ou d’un nuage) et de trois personnages qui se trouvent là.
Dans le déplacement une image refoulée trouve à investir son énergie (le désir qu’elle “personnifie”) dans une image anodine qui lui est liée et qui, parce qu’elle est anodine, n’aura pas de peine à venir dans la conscience “représenter” l’image interdite. De cet ordre-là semblent être Les Cygnes réfléchis en Elephants de 1937, du même Dali.

Ou La Métamorphose de Narcisse de 1937.


b. L’inspiration de l’absurde.
b1. Magritte en est sans doute le meilleur représentant.
–> Il y a d’abord chez lui un refus manifeste de faire en sorte que la peinture représente. Ceci n’est pas une Pipe (1929) dit assez qu’un tableau est une image et non l’objet qu’il représente; une surface plane et non un volume en trois dimensions. Les tableaux comme La Condition humaine (1934) qui présentent une toile sur un chevalet redoublant devant une fenêtre le paysage qu’on aperçoit, montrent assez l’inutilité, l’inanité d’une peinture qui ne fait que remettre sous les yeux ce qui est déjà sous les yeux. Des tableaux comme La Clé des Songes qui sous un oeuf portent la mention “Acacia” et sous une chaussure la mention “la lune”, complètent cette dénonciation en montrant que l’image même n’est pas “représentative” de l’objet auquel elle prétend renvoyer mais, métaphoriquement ou métonymiquement, elle renvoie à d’autres images ou d’autres mots.

–> Ensuite, chez Magritte, on assiste à une assimilation peinture-écriture. Nombre de ses tableaux traduisent des figures de style. Ici, Le Modèle rouge (1935), c’est une paire de souliers qui, sur leur partie avant se métamorphosent en pied. On reconnaît la métonymie qui associe une partie d’un objet à une autre partie (“boire un verre”). Là, dans La Corde sensible(1960) c’est une métaphore qui remplace un terme par un autre qui lui est associé par autre chose que la proximité (“un nuage de lait”). Un nuage qui passe au-dessus d’une chaîne montagneuse prend place au sommet d’un fragile verre à pied comme un débordement de crème chantilly. Ces métonymies, ces métaphores dont nous comprenons immédiatement le sens, si l’on y réfléchit, elles n’en ont aucun : la terre n’est pas bleue comme une orange, comme le prétend la métaphore d’Eluard, le lait n’est pas un nuage et le verre ne se boit pas. C’est donc par elles que le sens et l’absurde font leur apparition.
Il y a aussi, chez Magritte, l’oxymore qui met ensemble des termes opposés de façon a faire surgir une image contradictoire (“un silence assourdissant”) qui se traduit admirablement dans L’Empire des ténèbres (1954) ci-dessous.

Et aussi l’antiphrase qui consiste à employer des termes en leur donnant une signification opposée à celle qu’ils ont d’ordinaire (“c’est du propre !”). De cette nature est La trahison des images (1929) qui porte que “Ceci n’est pas une pipe”.

Enfin, la synecdoque qui prend la partie pour le tout (“Cent voiles à l’horizon”) comme dans La Belle saison(1961) où les arbres sont figurés par de grandes feuilles plantées dans le sol.
–> Et cela fonctionne chez Magritte comme le mot d’esprit. Un mot d’esprit est une trouvaille. Un moment précis où le sens bascule d’un univers dans un autre. Expliquer un mot d’esprit est absurde : cela le détruit. Le plaisir que procure le mot d’esprit est instananné. Il n’est provoqué ni par le premier sens ni par le second, mais pas le seul passage du premier au second. “J’ai voyagé tête à bête avec untel”, rapporte Freud. Ou, “Comment allez-vous, demande l’aveugle au paralytique ? Comme vousvoyez“. Le “allez” et le “voyez” prennent ici un double sens dans lequel repose le mot d’esprit. C’est ainsi lorsque dans Le blanc-seing (1965) le cheval et sa cavalière se dessinent tantôt sur les arbres tantôt entre les arbres et de telle sorte qu’un arbre qui a son pied derrière passe devant la figure équestre. L’image est parfaitement lisible et en même temps parfaitement incompréhensible. De même pour La Tentative de l’impossible , tableau dans lequel un peintre peint son modèle dans l’espace-même de la pièce où il se trouve. Ou encore dans le Portrait d’Edward James(La Reproduction Interdite) de 1937 où un homme placé devant son miroir ne voit son dos.